• Chapitre 26 - Fantômes

     

    Je me réveillai, encore amorphe par la fatigue, mais reposée des utilisations successives de ma capacité. Lukas et Alex étaient à mon chevet. Dès qu'ils virent que j'étais réveillée, leurs mines passèrent d'une angoisse profonde à une colère furibonde.

     

    - Tu es vraiment inconsciente ! C'était vraiment dangereux et stupide de ta part. En voulant nous faire gagner du temps, tu nous en as fait perdre.

     

    Passant outre le sermon de Lukas, Alex, lui, vint me serrer dans ses bras.

     

    - Lana, j'étais si inquiet ! Tu n'as pas idée du danger auquel tu t'exposes !

     

    Agacée, je me dégageai tant bien que mal de son étreinte. Mon mal de tête était persistant. Je ne me sentais pas bien. J'étais à l'étroit. Leurs sermons n'arrangeaient rien. Ma colère semblait enfler de seconde en seconde et c'était insupportable.

     

    - Mais oui j'étais consciente des dangers ! Qu'aurions nous fait si nous avions été suivis ? Nous nous serions battus ? Mais bien sûr ! Avec moi, incapable de me relever, Alex, au bord de l'effondrement et Lukas, oui toi, croyais-tu que je n'avais pas remarqué le tremblement incessant de tes mains ? Quel est l'intérêt d'effectuer une telle mission si c'est pour se faire prendre ensuite ?

     

    Le silence était revenu. Mais il était étrangement soulageant pour moi. Ils semblaient penauds. J'aurais préféré leur exposer mon avis sans leur crier dessus mais tant pis. Je savais qu'ils ne m'auraient pas écoutée.

     

    - Combien de temps ai-je dormi ?

    - Deux heures.

    - On va aller chercher l'entrée. Vous allez voir à l'extérieur, je fouille l'intérieur.

     

    … et plus particulièrement le sous-sol. Je me relevai, pleine de détermination et les laissai derrière sans plus me soucier d'eux.

     

    L'endroit n'avait pas changé depuis la dernière fois que j'étais venue. Le même escalier en colimaçon et les mêmes cellules. Si Alex était clairement reparti par un portail, Tania cependant venait d'ailleurs.

     

    En me rappelant sa position, j'en déduisis qu'elle ne pouvait pas venir du fond des cachots mais d'un endroit proche de l'entrée. Je posai ma main au sol pour essayer de sentir un quelconque creux. Mes pas me menèrent devant le bureau des gardes où reposaient toutes les clés.

     

    Je tâtai à l'aveuglette l’alcôve un peu trop haute pour moi dans l'espoir d'y trouver quelque chose. Bingo ! Je pressai le mécanisme et un grand fracas de rouages se produisit. Nul doute que ceux à l'étage devait l'entendre.

     

    Une porte apparut dans ce qui semblait être une ancienne cellule mais qui n'avait plus de barreaux. Curieuse, je jetai un coup d’œil. Il y faisait totalement sombre.

     

    - Lana ! S'écria Alex du bas des escaliers alors que je rentrai à l'intérieur.

     

    Je me retournai vers lui et aussitôt un grincement retentit. La porte se referma. Sans repères dans la pénombre la plus totale, je cherchai un interrupteur sur les murs. Très vite, je fus perdue.

     

    Où était l'entrée ? Devant moi ou derrière ? Sur ma droite ou ma gauche ?

     

    On tapa contre le mur et j'essayai de trouver la source. Une peur inexplicable me prenait au ventre. Je n'avais pourtant jamais redouté les endroits sombres mais c'était comme si les ténèbres engloutissaient tout...comme si je n'allais jamais retrouver la lumière.

     

    - Alex, il y a un moyen d'ouvrir la porte dans l'alcôve du bureau !

     

    Je criai mais j'avais l'impression que c'était vain. Mon cri résonnait en écho tout autour de moi et je l'entendais tambouriner furieusement contre la roche. Réussissant à trouver un mur et peut- être le bon, je me mis aussi à taper dessus.

     

    Je pris une grande inspiration pour chasser mon impression d'étouffer et me surpris à imaginer la paroi disparaître, remplacée par un trou béant. De mes mains se mit à émaner une étrange lueur. Je les dégageai de la pierre, devenue brûlante, et regardai la surface se dissoudre. Comme du magma.

     

    Et Alex se retrouva face à moi. Dans un élan, il me serra dans ses bras à nouveau et je m'y laissai aller. Mon angoisse s’apaisant au fur et à mesure de ce contact.

     

    - Encore une fois, c'était dangereux. Bravo aussi, tu as atteint l'une de tes déviations. Apparemment du magma.

     

    J'acquiesçai, soulagée de ne plus être enfermée dans cette pièce obscure. La réalisation me frappa ensuite. Une déviation … je savais que j'en avais voulu une. Je ne m'attendais pas à l'obtenir aussi rapidement.

     

    - Comment as-tu su que j'étais là ?

    - Eh bien, je me suis rappelé de ce que m'avait dit Tania et puis, tu ne nous donnes pas souvent des ordres. Sauf si tu as quelque chose de précis en tête.

     

    Il me connaissait trop bien. Mais le contraire était aussi vrai.

     

    Il fit apparaître une boule de feu dans sa main et avança de quelques pas afin d'éclairer l'endroit dans lequel j'avais été enfermée. Il s'agissait d'abord d'un long couloir qui finissait sur des escaliers.

     

    Si je me souvenais bien, au- dessus de nous se trouvait un couloir d'à peu près la même taille connectée à des salons. Aucun escalier par contre. À part le sous- sol, le bâtiment était de plein pied avec toi accessible.

     

    - Et Lukas ?

    - Pour une raison qui m'échappe, tu préfères qu'il ne soit pas là pas vrai ?

    - Oui.

     

    Je déposai un baiser léger sur ses lèvres pour le remercier. J'étais soulagée qu'il m'ait comprise. Côte à côte, on descendit les marches puis traversa plusieurs salles. Tout ici me faisait frissonner. L'endroit semblait désert mais une étrange atmosphère s'en réchappait.

     

    - Ce doit être un étage en dessous de nous. Me murmura Alex à l'oreille.

    - Ce qui me chiffonne c'est qu'il reste quatre étages en dessous de nous. Que peuvent-ils bien conten-

     

    Un cri déchirant m'interrompit. Ce n'était pas humain du tout ou du moins presque pas. Et c'était proche de nous.

     

    Dans un réflexe presque instantané, Alex m'avait attirée avec lui sous un bureau. Un pas léger passa devant nous. Ses jambes étaient entourées de matière noire et, malgré le bruit, on aurait plutôt dit qu'il ne marchait pas mais volait au- dessus du sol.

     

    Je ne pouvais voir grand- chose du buste seulement ses mains, plus semblables à des griffes, recouvertes aussi de noir, ainsi que le début de son bras droit sur lequel était inscrit un nombre « 118 ».

     

    - Alex tu as le dossier des tests de Junon et Pluton ?

    - Oui, tiens.

     

    En regardant la liste, je vis que la fin des expériences alternait toujours entre soit des pertes ou des éliminations. Le 118 était censé être une élimination. Pourquoi son corps était-il toujours là ?

     

    Le problème des textes dactylographiés, c'était que l'on ne pouvait déterminer l'état de l'auteur en observant l'écriture. Pourquoi avoir modifié la police du texte à la dernière ligne ?

     

    Si ce que je pensais était juste alors il était probable que plusieurs sujets censés avoir été « éliminés » soient en vie et en liberté dans ce laboratoire. Ils déambulaient tels des fantômes, dénués du noyau de leurs âmes.

     

    Le bruit des pas s'atténua.

     

    On se releva, prudents, et avança. Nous ne prononcions plus un mot. Il arriva un moment où l'on croisa un autre de ces résultats d'expérience dans le couloir.

     

    On se plaqua contre le mur pour le laisser passer et j'eus tout le loisir d'observer le haut de son corps.

     

    Son buste, translucide, était à moitié parsemé de tâches noires ou rougeâtres telles du sang. Aussi, il n'y avait aucun moyen de savoir si c'était un homme ou une femme. Aucun organe reproducteur, signe distinctif quelconque, n'était visible. Tout ce qui faisait de cette chose une personne avec une identité avait disparu.

     

    Son visage était un amas flou d'éléments ; de grands yeux blancs et vides, une bouche entrouverte, comme s'il essayait de dire quelque chose, qui dévoilait des dents beaucoup plus aiguisées que normalement. Dénué de cheveux, sourcils, il avait le crâne aussi translucide et tacheté que le reste de son corps.

     

    « Ça » semblait particulièrement inhumain et, quand bien même, on ne pouvait pas nier son origine humaine.

     

    Il passa devant nous sans nous voir et l'on put descendre. Une fois en bas, la pression se relâcha un peu. Mais à cet étage aussi il y avait des fantômes. Alex me fit signe en pointant le mur sur lequel était signalé : Quartiers privés <- - - - - - - - - - > Laboratoire

     

    Une décision s'imposa directement à moi. Il fallait que j'aille voir les appartements des scientifiques.

     

    - Va au laboratoire, je te rejoindrai.

    - Pourquoi ?

    - Je t'expliquerai plus tard, fais-moi confiance ?

     

    Il soupira avant d'acquiescer.

    Je partis assez rapidement vers l'aile ouest. Au bout d'un moment, une poigne froide s'agrippa à mon bras, coupant mon élan.

     

    Je me retournai et sentis des griffes s'enfoncer profondément dans mon bras. Je refrénais les longs frissons qui me parcouraient en voyant le fantôme. Je ne pouvais même pas savoir s'il me fixait ou non. Sa bouche était ouverte, les crocs en avant, mais bizarrement il avait arrêté tout mouvement.

     

    - Ai … dez … moi … Tu … ez … moi

     

    Aussitôt, la poigne se desserra et il partit dans la direction opposée, me laissant là avec pour seule trace de son passage les griffures sanguinolentes sur mon bras. Était-ce là ses dernières volontés avant que sa conscience ne s'évanouisse et qu'il ne devienne … ça ?

     

    Répétées à l'infini, la seule chose qu'il puisse à présent communiquer ; son désir de mort. Il faisait partie de ces gens, choses, qui ne vivaient même plus.

     

    Et j'atteignis les quartiers. Bien évidemment, chaque porte portait un véritable nom et prénom voire plusieurs mais une attira mon attention.

     

    Plutarc Nonymac – Julie Toneski


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